Bienvenue à Cuba, l’île aux vaccins

Bienvenue à Cuba, l'île aux vaccins

LA HAVANE,30 Mars Plus que sa musique, ses plages et cigares légendaires ou ses admirateurs et critiques du castrisme,

la renommée de Cuba dans le domaine de la santé n’est plus à faire. Accès aux soins gratuit, expertise et formation médicale de haut niveau et diplomatie médicale active, telles sont les vecteurs de « l’internationalisme médical » de l’île.

Cuba pourrait prochainement compter sur une nouvelle arme symbolique de sa puissance : un vaccin contre le Covid-19. Sur 63 candidats dans la course mondiale aux vaccins, l’île castriste occupe une place de choix.

D’après l’OMS qui recense toutes les recherches en cours, 175 à travers le monde sont en phase pré-clinique et 63 en phase III, celles des essais cliniques. Cuba développe 4 candidats vaccins Mambisa, Abdala, Soberana  1 et Soberana 2.

Soberana 2 est le premier candidat vaccin cubain entré en phase III. Abdala est le deuxième. Le 22 mars, un test de vaccination avec Soberana 2 est lancé et vise à vacciner quelque 150.000 employés des hôpitaux.

Cuba jouit d’une longue tradition et d’une vraie expertise. L’île peut compter sur le Centre d’ingénierie génétique et de biotechnologie (CIGB) ainsi que sur l’Institut de vaccination Finlay (IFV) qui développent chacun deux vaccins.

Les biotechnologies, source de revenus pour l’île

« Ce n’est pas une  surprise, selon la docteure Anne Sénéquier, qui dirige l’observatoire de la santé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) à Paris. Depuis fort longtemps Cuba se sert de son système médical pour son soft power, dans des catastrophes, dans sa diplomatie médicale, dans sa recherche et développement. C’est eux qui ont mis au point les premiers le vaccin méningocoque B ».

Une industrie qui profite en priorité aux Cubains. Sur les 13 vaccins obligatoires à Cuba, 9 sont produits sur place, souligne le docteur Franco Cavalli. Ce spécialiste du cancer, professeur émérite d’oncologie à l’université de Berne en Suisse est le président de l’ONG MediCuba Europe qui développe des projets de partenariat médicaux et scientifiques en soutien au système de santé cubain dont il promeut l’image à l’étranger.

A l’épreuve de la pandémie, Cuba a fait preuve de sa capacité de résilience et de résistance contre le virus. A tel point que l’OMS a félicité le pays pour sa gestion sanitaire. « Une solution à la chinoise, selon le professeur Cavallo, tout était fermé ». Mais aussi, « chaque personne positive était hospitalisée jusqu’à ne plus être positive, tout cas contact est en quarantaine, et chaque jour un médecin ou un étudiant en médecine lui rend visite ».

Alors que l’Italie du nord vivait une véritable catastrophe sanitaire aux yeux d’une Europe impuissante, Cuba avait envoyé un contingent de docteurs en Lombardie. Le 19 mars 2020, 53 médecins et infirmières cubains débarquaient pour aider le pays le plus touché d’Europe à l’époque.

A l’inverse, parti en mission à Cuba quelques mois plus tard, l’oncologue suisse et président de MediCuba Europe Dr Franco Cavalli, s’est dit impressionné par la situation, « avec 138 morts à la mi-novembre selon des chiffres confirmés par l’OMS, c’est 100 fois moins qu’en Belgique qui a une population presque similaire de 11 millions d’habitants ».

Pourquoi Cuba veut produire son propre vaccin

Selon la Dre Anne Sénéquier, il serait pertinent aujourd’hui de mutualiser les efforts, à l’instar du programme Covax  de collaboration « pour un accès mondial et équitable aux vaccins contre le virus de la Covid-19 » co-dirigé par l’Alliance Gavi, la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies (CEPI) et l’OMS.

Mais « Cuba est confiant en son système médical et le pays n’a pas souhaité participer à Covax. Ils se sont dits optimistes pour produire un vaccin national », souligne la chercheuse de l’IRIS.

A Cuba, il n’y a pas de vaccin russe ni chinois. « Il y a un aspect économique comme moteur pour la production de son propre vaccin », reconnaît le Dr Franco Cavalli. Sachant qu’avec le tourisme, et les missions médicales, les biotechnologies sont une importante source de revenus pour Cuba.

« Au départ, ils avaient misé sur des mesures permettant d’éviter au maximum les contaminations », explique  le Dr Franco Cavalli. Mais la situation sanitaire sur l’île s’est sensiblement dégradée à partir du moment elle a rouvert ses frontières au tourisme international à la mi-novembre notamment pour soutenir un secteur vital dans une économie sous embargo américain depuis 1962 et au bord de l’asphyxie.

Conséquence : début février, pour la première fois le cap des 1.000 cas quotidiens de contaminations est franchi, mais Cuba reste bien moins touchée que le reste de la région, avec 30.345 cas dont 225 décès au 4 février.

Ils forment plus de médecins qu’ils n’en ont besoin et ils s’en servent comme un produit d’exportation auquel de nombreux pays font appel.

Docteure Anne Sénéquier, chercheuse à l’IRIS

Si Cuba a des atouts pour produire son vaccin, rien n’est acquis car on ne peut préjuger de l’issue de la phase III. « A ce niveau, certains ont abandonné comme l’Australie ou l’Institut Pasteur », rappelle la Dre Sénéquier. « Cuba est un outsider, ce n’est pas la Ligue 1 en la matière.

Mais c’est un petit pays sous embargo qui s’est octroyé le droit et le luxe de produire sa propre recherche biomédicale et ils sont plutôt bons. Ils forment plus de médecins qu’ils n’en ont besoin et ils s’en servent comme un produit d’exportation auquel de nombreux pays font appel, comme par exemple la France en 2020 pour la Martinique en renfort face à la pandémie de coronavirus ».

Pour le docteur Franco Cavalli, Cuba va à son rythme. « De ce que j’en sais à travers des échanges avec des médecins cubains, ils sont en train de soumettre les résultats de phase 1 et 2 à des revues scientifiques. Ils espèrent terminer la phase III en mars-avril et vacciner à Cuba au début de l’été », nous confiait-il au début du mois de février. Ce professeur d’oncologie croit en la biotechnologie cubaine.

« Leur technologie traditionnelle est plus lente mais ils pensent que leur vaccin sera stable à 10 C° », avance-t-il. Si tel était le cas, ce serait un atout considérable par rapport aux premiers vaccins comme Pfizer-BioNtech et Moderna qui sont très compliqués à conserver dans la chaîne du froid pour les pays du Sud.

Produire cent millions de doses de vaccin dès 2021

Pour Cuba, les débouchés potentiels de son vaccin seraient prioritairement en Amérique latine, mais pas seulement car plusieurs autres pays sont déjà des destinataires de la diplomatie médicale cubaine. Par ailleurs, certains à l’instar de l’Iran participent aux essais cliniques dans la mesure où l’île ne dispose pas de suffisamment de cas sur son territoire.

Autant de facteurs qui déterminent une géopolitique du vaccin. Cuba dispose aussi de deux filiales en Chine qui produisent pour le marché chinois, assure le Docteur Cavalli.

Les ambitions cubaines sont conséquentes : produire dès 2021 cent millions de doses de Soberana 2, un vaccin à double dose intramusculaire, soit 5 fois plus que nécessaire pour sa population totale.

« Ils évoquent aussi la possibilité de vacciner des touristes, rapporte la docteure Anne Sénéquier. Or avec 2 doses injectables à 28 jours d’intervalle, ils se donnent les moyens de relancer une économie du tourisme qui a beaucoup souffert », observe la chercheuse de l’IRIS.

Au-delà des calculs sur les bénéfices que pourraient tirer l’industrie de biotechnologie cubaine, l’île souffre surtout du coup de grâce infligé par le président Trump qui en janvier, avant de quitter la Maison Blanche, a inscrit de nouveau Cuba dans la liste des Etats soutenant le terrorisme.

Une catastrophe bien plus grave que la pandémie pour Cuba qui reçoit une grande partie de ses revenus des envois d’argent de la diaspora notamment aux Etats-Unis. Et le docteur Franco Cavalli de conclure : « le grand espoir des Cubains, c’est Joe Biden ».( www.information.tv5monde.com)