Quand le baba français épouse le rhum cubain … malgré les pénuries

Quand le baba français épouse le rhum cubain … malgré les pénuries

LA HAVANE, 26 Mars « Ah, ils ont coupé l’eau », s’étonne le pâtissier français Sébastien Gaudard face aux soubresauts du robinet : venu à Cuba enseigner l’art du baba au rhum, il découvre les difficultés de cuisiner dans une île en crise économique et frappée par les pénuries.

Invité à La Havane par l’ambassade de France, le chef de 49 ans participe à l’opération « Goût de France », qui vise à promouvoir la gastronomie de l’Hexagone dans le monde. Sa mission? Animer deux sessions de formation auprès d’une quarantaine de chefs cubains pour leur apprendre à préparer un baba au rhum, « un dessert traditionnel français qui est originaire de Lorraine, dont je suis originaire », souligne-t-il. Une recette idéale dans un pays où le rhum est roi et reconnu comme l’un des meilleurs au monde.

« Pour nous, la France est la Mecque de la cuisine », se réjouit Eddy Fernandez, président de la Fédération culinaire cubaine, et « avoir le prince de la pâtisserie de Paris à Cuba, c’est une opportunité ». Face à ses élèves, qui prennent des notes ou le filment avec un téléphone, Sébastien Gaudard détaille avec l’aide d’une traductrice les composants de la recette: farine, sucre, sel, oeufs, levure, eau, beurre… des denrées pas si faciles à dénicher à Cuba.

baba au rhum
Sébastien Gaudard (deuxième à droite), inspecte un baba au rhum concoté par un chef cubain. © ADALBERTO ROQUE / AFP.

De quoi interpeller ce patron de deux pâtisseries situées dans des quartiers chics de Paris, qui n’était jamais venu sur l’île : « Sans faire de la haute gastronomie, trouver des ingrédients aussi simples soient-ils (…), je me rends compte que ça prend une dimension toute autre ici. » Humblement, ce pâtissier star dans son pays avoue ressentir « beaucoup de respect pour tous ces chefs car en France, c’est tellement simple ». Il commence son cours en leur disant « bravo ».

Recherche oeufs et farine

Soumis à l’embargo américain depuis 1962, Cuba souffre régulièrement de pénuries alimentaires, qui se doublent parfois de coupures d’eau et d’électricité. À l’automne, la farine a disparu des rayons quand plusieurs moulins de l’île sont tombés en panne. Les pièces de rechange ont mis des mois à arriver d’Allemagne. Entre temps, les oeufs ont commencé à manquer. Les autorités ont expliqué ne plus avoir assez de nourriture pour les poules : sous-alimentées, elles n’arrivaient plus à produire d’oeufs.

baba au rhum
Raul Bazuka, chef pâtissier cubain, arrive à l’ambassade de France à La Havane pour y présenter sa version du baba au rhum. © ADALBERTO ROQUE / AFP.

Les cuisiniers cubains ayant assisté à l’atelier de Sébastien Gaudard ont donc dû relever un véritable défi : l’ambassade leur a demandé de produire chacun 50 babas au rhum, pour une réception organisée le lendemain. « C’est un challenge », reconnaît le pâtissier français. « Je leur ai dit d’ailleurs qu’ils pouvaient tout à fait réinterpréter le baba avec des produits locaux pour se l’approprier et en faire un produit totalement cubain ».

« Être créatif »

Dans son restaurant « Grados », au coeur du quartier du Vedado, Raulito Bazuk, 33 ans, s’est lancé dans l’aventure avec enthousiasme, commençant à cuisiner ses babas dès la fin du cours. « Nous sommes une île et nous les insulaires, nous adorons échanger avec les gens de l’extérieur », raconte-t-il, heureux de préparer « une version à nous du baba au rhum », qu’il compte parfumer avec du citron ou de l’ananas. Pour lui, aucune raison de se décourager face aux pénuries : « Oui, c’est difficile de trouver du beurre, c’est difficile de trouver de la crème fraîche … mais bon, ce n’est pas un handicap, loin de là, c’est quelque chose que l’on peut voir comme l’occasion d’être créatif« .

Quand Raulito n’a pas de beurre, il utilise de l’huile. Si la farine de blé est introuvable, il prend celle de maïs. Cette fois, il n’a pas de crème fraîche pour réaliser la crème pâtissière du baba. Que va-t-il faire ? « En fait je ne sais pas ». Mais il se reprend immédiatement : « donc ce qu’on va utiliser, c’est une invention ! En espérant que ça marche… »

Il se dit toutefois « chanceux » d’avoir en réserve 10 kilogrammes de farine et rappelle aussi la vertu de la « solidarité » cubaine : « Quand tu cherches, les gens t’aident et toi aussi tu aides » les autres. Penaud, un autre cuisinier qui devait également préparer 50 babas confie à l’AFP avoir jeté l’éponge. « On n’a pas trouvé les ingrédients donc on ne va pas pouvoir les faire. En ce moment, c’est très compliqué d’avoir du beurre ».
AFP/Belga