Paladar à La Havane perd plus de 50 employés en raison d’un exode massif

Paladar à La Havane perd plus de 50 employés en raison d'un exode massif

LA HAVANE,11 Feb.  (AFP)  « On n’a pas le temps de remplacer le personnel qui part »: en plus d’un an, le restaurant Nel Paradiso de La Havane a perdu 50 employés, venus grossir la vague d’émigration sans précédent qui touche Cuba.

Le restaurant, situé dans le centre de la capitale, a rouvert ses portes en septembre 2021, après la pandémie. Deux mois après, le Nicaragua, un allié de La Havane, décidait la suppression de visas pour les Cubains, déclenchant un exode record, en particulier vers les Etats-Unis via l’Amérique centrale.

« L’ouverture du Nicaragua a été un coup dur (…) en une semaine, sur 50 employés que nous avions, nous nous sommes retrouvés avec 30 », raconte à l’AFP Annie Zuñiga, 26 ans, en charge des recrutements au sein du restaurant privé.

Sur 60 employés recrutés au cours des 14 derniers mois, seuls 10 résident encore sur l’île. Et trouver des remplaçants à ceux qui décident de quitter le pays se transforme en un casse-tête.

« Nous n’avons pas réussi à former une équipe unie et durable car au moment où nous nous disons c’est bon, l’équipe est prête (…) l’un vient nous dire +je m’en vais la semaine prochaine+. C’est catastrophique », dit-elle.

En 2022, les autorités américaines ont réalisé plus de 313.000 interpellations de Cubains entrés illégalement aux Etats-Unis, du jamais vu en 60 ans de gouvernement communiste. Sans compter l’émigration clandestine par la mer à travers le détroit de Floride (140 km) qui a grimpé en flèche.

Les Etats-Unis, qui ont annoncé récemment des mesures pour tenter de freiner l’émigration illégale en provenance d’Amérique latine et des Caraïbes, sont la principale destination des Cubains. D’autres mettent le cap vers l’Amérique du Sud ou l’Europe, mais aucune statistique n’est disponible.

 Paladar à La Havane perd plus de 50 employés en raison d'un exode massif

Annie Zúñiga (2e d), chargée des recrutements au sein du restaurant Nel Paradiso, donne des instructions à des serveurs, le 25 janvier 2023 à La Havane, à Cuba © ADALBERTO ROQUE / AFP

Cet exode intervient alors que Cuba traverse sa pire crise économique en 30 ans, conséquence de la pandémie, de faiblesses économiques structurelles et des sanctions américaines renforcées sous Donald Trump (2017-2021).

L’inflation est galopante, les files d’attente sont quotidiennes pour s’approvisionner en nourriture et carburant, nombre de médicaments sont introuvables sur l’île et les coupures d’électricité ont connu un pic en 2022, nourrissant le malaise social.

« Cri désespéré »

Dans un pays de 11,1 millions d’habitants, dont la population décroît régulièrement, le manque de personnel « nous met en difficulté », raconte le chef de salle du Nel Paradiso, Norberto Vazquez, également professeur en sommellerie.

« Certains étudiants me disent +professeur, la seule chose à laquelle je pense c’est comment je vais émigrer+, cela me fait une peine incommensurable », confie-t-il.

Selon le Centre d’études démographiques de l’Université de La Havane, la majorité des Cubains qui émigrent ont entre 19 et 49 ans et un bon niveau de qualification.

Le tourisme, moteur économique de l’île, déjà durement éprouvé par la pandémie, n’est pas épargné, notamment les hôtels de standing de la capitale, entreprises d’économie mixte entre l’Etat cubain et des groupes étrangers.

« Environ 30% des employés » de l’hôtel Parque Central, géré par le groupe espagnol Iberostar, ont ainsi émigré ces derniers mois ce qui a contraint les responsables à faire appel à des étudiants de l’école hôtelière pour les remplacer, explique à l’AFP un employé sous couvert d’anonymat.

Propriétaire d’une agence de voyage à Cuba depuis 1995, Stéphane Ferrux, un entrepreneur français, raconte qu' »une dizaine » de ses prestataires de service sur 60 ont émigré en un an, soulignant qu’il ne s’agit pas que d’une question de revenus, certains pouvant gagner jusqu’à 1.500 dollars par mois, soit 45 fois le salaire moyen.

« Quand on ne trouve rien, même quand on a les moyens » en raison de pénuries en tous genres, et « qu’on se sent sans perspective de futur, cela déclenche le départ », constate-t-il.

Secteur privé, entreprises publiques et même ambassades sont touchés par le phénomène.

En janvier, le « cri désespéré » d’un professeur en sciences de l’Université de La Havane est devenu viral sur les réseaux sociaux: « Nos laboratoires se vident (…) Nous sommes en train de perdre ce qu’il y a de plus précieux dans notre pays », a-t-il lancé, déplorant le départ d’étudiants.

Le président Miguel Diaz-Canel a reconnu en octobre une « émigration élevée à Cuba », accusant les lois américaines de favoriser les migrants cubains. « Chaque jeune qui abandonne ses études ou son travail pour émigrer », c’est une « défaite », a-t-il admis.

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