À Cuba, un exode massif de population vers les États-Unis

À Cuba, un exode massif de population vers les États-Unis

LA HAVANE, 3 mai  Les Cubains fuient leur île vers les États-Unis dans une vague d’une ampleur sans précédent. Un enjeu explosif dans un pays à la population vieillissante.Un immense cri de joie s’élève dans la petite maison du quartier havanais du Vedado. Marisbel (*), 60 ans, tend deux feuilles de papier sur lesquelles sont inscrites les coordonnées d’un vol vers le Nicaragua. Objectif ?

Rejoindre son fils. Il vit aux États-Unis. « À Managua, un Coyote (passeur) m’attendra et nous traverserons les frontières en groupe. Je n’en sais pas plus. Mon fils s’est occupé de tout », assure Marisbel.

À l’évocation de la traversée à pied du Honduras, du Guatemala, puis du Mexique, plus de 3 500 km au total, son visage se crispe. « Il paraît que les « narcos » visent particulièrement les Cubains et que les policiers mexicains sont très corrompus », s’inquiète-t-elle. « Attention, ne t’habille pas bien.

Ne portes pas des tennis de marque. C’est comme cela que les Cabezons (les grosses têtes – les Mexicains) te repèrent », l’interrompt sa nièce. Marisbel prend sa tête entre ses mains. « Une femme seule comme moi. Que me suis-je mis dans cette galère ? Si les Américains avaient accepté de me donner un visa de tourisme, je n’aurais pas à partir illégalement », explique-t-elle.

L’aventure de Marisbel a débuté il y a neuf ans, lorsque son fils, Pedro, jeune cardiologue, a quitté Cuba pour une mission médicale de cinq ans au Venezuela. Il y a épousé une Vénézuelienne et a déserté sa mission au bout de trois ans. Les jeunes mariés sont alors partis vivre aux États-Unis où ils résident depuis six ans.

Interdit de séjour à Cuba pour cause de désertion, Pedro s’est résolu à faire venir sa mère. Elle ne l’a pas vu depuis près d’une décennie, pas plus que ses deux petits-enfants.

Défi démographique

Près de 80 000 cubains seraient entrés illégalement aux États-Unis depuis octobre 2021. D’autres se sont noyés en mer ou dans le Rio Bravo. Sans compter ceux qui sont morts dans la terrible jungle du Darien, au Panama, ou assassinés par des bandes organisées. Cet exode massif devrait dépasser, en 2022, celui du port cubain de Mariel, en 1980, lorsque 125 000 cubains ont fui vers la Floride.

À Cuba, un exode massif de population vers les États-Unis

« Ce pays s’est vidé. Il ne reste plus que les vieux. Même les Jineteras (prostituées) sont parties », conte Elisabet, une jeune Havanaise. Un défi pour Cuba. Si, en 1970, environ 9 % de la population de l’île était âgée de plus de 60 ans, ce nombre a atteint 22 % en 2021. « En 2030, la proportion des personnes âgées de plus de 60 ans dépassera les 33 % », souligne un rapport de l’Office national de la statistique de Cuba.

De plus en plus de retraités retournent sur le marché du travail pour améliorer les revenus de pensions laminées par l’hyper-inflation, mais aussi pour remplacer les jeunes générations expatriées. Le ministère de l’Éducation a ainsi embauché 5 000 enseignants retraités en 2021.

Orlando, 83 ans, vend le quotidien officiel du Parti communiste, Granma, dans son kiosque. « Je travaille seulement le matin pour me maintenir alerte intellectuellement, car le pourcentage qu’on me verse sur chaque vente est ridicule », dit Orlando, retraité d’une manufacture de tabac.

Faute de jeunes, La Havane a perdu sa fureur de vivre. Les orchestres se sont tus. La rue Obispo, longue artère piétonne favorite des touristes pour ses échoppes et cabarets de musique traditionnelle, est désormais bien triste.

* Les prénoms ont été modifiés.

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