Le droit à la plage des Cubains, malmené par le tourisme et les transports

Le droit à la plage des Cubains, malmené par le tourisme et les transports

LA HAVANE, 22 Juillet (AFP)  Tente de fortune pour s’abriter du soleil, nourriture et boissons: avec la chaleur de l’été…

les Cubains déferlent sur les plages, dont l’accès pour tous est un droit garanti par la Constitution, mais compliqué par les difficultés de transport et la pression croissante du tourisme.

« Ici, il n’y a pas beaucoup de touristes qui viennent », dit Rey Gonzalez, 43 ans, venu en famille sur la plage de Guanabo, à l’est de La Havane.

Certes, le sable est moins blanc, l’eau moins cristalline que sur les célèbres plages paradisiaques des touristes, dont la plus connue, Varadero (est), a été désignée cette année deuxième plus belle au monde par le portail américain TripAdvisor.

Mais « pour moi toutes les plages sont identiques: du sable, la mer… on ne voit pas la différence quand on se baigne ».

Un peu plus loin, Lazaro Palomino, 34 ans, est du même avis: « on aime la plage, qu’elle soit propre ou sale », dit-il. Sur le sable, on distingue de nombreuses canettes de bière.

Aller à Varadero? « Tous les Cubains, on aimerait bien. Moi j’y suis allé une fois et je suis revenu en état de choc » face à la beauté du paysage, rigole-t-il.

– La plage, objet politique –

Sur l’île, où l’on a coutume de dire que tout est politique, la plage n’échappe pas à la règle: « à Cuba, il n’existe que des plages de Cubains, cela fait partie du patrimoine de la Nation », assure José Luis Perello, universitaire spécialisé en tourisme.

Il cite l’article 23 de la Constitution, qui qualifie les 271 plages du pays « de propriété socialiste de tout le peuple ». C’est le cas depuis la révolution menée par Fidel Castro en 1959.Le droit à la plage des Cubains, malmené par le tourisme et les transports

Avant, le pays regorgeait de clubs privés, avec plages réservées à leurs membres, blancs de préférence. Même le dictateur Fulgencio Batista (au pouvoir de 1940 à 1944 puis de 1955 à 1959) n’a jamais pu obtenir sa carte de membre car il était métis.

Si la révolution a établi l’accès universel à la plage, dans les faits, cette dernière a parfois été vue comme une menace, car elle « était liée à l’exode illégal et à l’entrée dans le pays de petits groupes avec certains intérêts », rappelle José Luis Perello, en référence notamment à l’invasion ratée de la Baie des cochons en 1961, avec l’aide des Etats-Unis.

A une époque, des dissidents comme l’écrivain Reinaldo Arenas (1943-1990) ont ainsi dénoncé ne pas pouvoir aller à certaines plages, réservées aux travailleurs syndiqués. Et les Cubains n’ont longtemps pas eu le droit de loger à l’hôtel. Encore aujourd’hui, ils ont interdiction de monter à bord d’un bateau.

– Pression des plages privées –

Désormais, une autre menace plane: le tourisme, priorité du gouvernement cubain pour attirer des devises, avec 4,75 millions de visiteurs et 3,3 milliards de dollars de recettes en 2018.

« Indéniablement, les hôtels représentent un business, qui essaie de faire pression », souligne José Luis Perello, mais pas seulement à Cuba: « les Caraïbes sont le symbole de cette pression des plages privées ».

Certains établissements font leur publicité sur cet argument, comme cet hôtel de Varadero qui vante sur son site sa « plage privée pour l’usage exclusif des clients, d’un kilomètre de long », ce qui est illégal.Le droit à la plage des Cubains, malmené par le tourisme et les transports

Régulièrement, des Cubains se plaignent via internet d’avoir été expulsés d’une plage d’hôtel par des gardes un peu zélés.

Et encore faut-il qu’ils puissent arriver jusque-là: la majorité d’entre eux n’ont ni voiture ni l’argent pour payer le bus jusqu’aux plages de carte postale.

Sur la petite plage de Bacuranao, à 30 kilomètres de La Havane, Laura Yanis, 21 ans, assure que « tous les Cubains ont vraiment accès à toutes les plages, elles ne sont pas privées ou réservées à certaines personnes ». « C’est important car c’est nous le peuple, c’est nous qui faisons avancer le pays. »

Pourtant, elle-même n’est allée qu' »une fois » à Varadero: « c’est très joli, l’eau est très bleue, le sable magnifique… mais cela fait vraiment loin pour moi et je n’ai pas de moyen de transport. »

Caridad Vidangel, 48 ans, a pris un bus puis une carriole à cheval pour arriver jusqu’à Bacuranao.

« C’est (la plage) la plus proche », mais « si on avait l’opportunité, on irait ailleurs ». « Je ne suis jamais allée à Varadero », confie-t-elle, « j’aimerais bien… mais c’est impossible ».