Joe Biden serait-il sur le point de fermer Guantanamo Bay ?

Joe Biden serait-il sur le point de fermer Guantanamo Bay ?

LA HAVANE, 12 Jan. Beaucoup de choses ont changé depuis les attentats terroristes du 11 septembre 2001 sur le sol américain, à la suite desquels le pays a lancé ladite « guerre mondiale contre le terrorisme ».Les États-Unis ont retiré leurs forces militaires d’Afghanistan en août 2021, mais la prison militaire américaine de Guantanamo Bay, à Cuba, qui a été créée pour la détention des suspects de terrorisme capturés en Afghanistan, en Irak et ailleurs, reste opérationnelle.

La tristement célèbre prison a été instituée il y a aujourd’hui 21 ans dans la baie de Guantanamo, que la marine américaine avait louée à Cuba en 1903.

Depuis lors, le camp de détention, également connu sous le nom de « Gitmo », a accueilli environ 780 détenus, pour la plupart sans inculpation ni jugement, dont beaucoup auraient subi des atrocités indescriptibles. Les détenus qui y séjournent encore sont au nombre de 35, dont 20 sont éligibles à un transfert.

Selon le ministère américain de la défense, trois des 35 détenus peuvent être soumis à un « comité de révision périodique », tandis que neuf autres font l’objet d’un « examen par des commissions militaires » et que trois ont été condamnés par des commissions militaires.

Parmi les 780 détenus de Guantanamo Bay figurait Mansoor Adayfi, 40 ans, ressortissant yéménite, qui est resté incarcéré pendant près de 15 ans.

Il a été remis à la CIA en 2002, alors qu’il n’était âgé que de 18 ans et qu’il se trouvait en Afghanistan pour des travaux recherches.

Il a été accusé d’être un dirigeant d’Al-Qaida, bien qu’ il n’ait pas été informé de ces accusations au début, ni qu’il allait être conduit à Guantanamo Bay.

« J’étais dans un détenu dans un endroit sombre, totalement obscur », se souvient-il des trois premiers mois d’emprisonnement à Kandahar, en Afghanistan, où il dit avoir été déshabillé et torturé.

Adayfi a ensuite été expédié à Guantanamo, et détenu sans inculpation jusqu’en juillet 2016.

« Nous n’avions aucune idée de l’endroit où nous étions », a-t-il déclaré à Anadolu dans une interview accordée en ligne depuis son domicile en Serbie, portant un tissu orange autour du cou, symbole de son séjour dans le tristement célèbre camp de détention. Et d’ajouter : »Ils n’ont jamais évoqué les charges qui pesaient contre nous, ni pourquoi nous étions là ».

Lorsque les autorités américaines ont décidé qu’il ne représentait pas une menace pour le pays, elles ont envoyé Adayfi en Serbie.

« Ainsi, pour résumer, je suppose qu’il s’agissait d’une [affaire] d’erreur d’identité et ce, pendant 15 ans « , a-t-il déclaré à propos de son incarcération.

** Pourquoi la prison est-elle toujours opérationnelle ?

La baie de Guantanamo est au centre de la politique américaine depuis des années.

L’ancien président Barack Obama avait promis de la fermer, mais n’y est pas parvenu, se heurtant à une forte opposition du Congrès.

Donald Trump, successeur d’Obama, avait choisi de maintenir la prison controversée en service et avait demandé l’arrêt immédiat des transferts de détenus. Un seul prisonnier de Guantanamo a été transféré sous son administration.

Dès les premières semaines de son mandat, le président Joe Biden a annoncé son intention de fermer le camp de prisonniers, mais cette décision n’a pas été concrétisée.

Le mois dernier, Biden a dû signer un projet de loi relatif à la défense d’un montant de 770 milliards de dollars, qui comprenait des dispositions susceptibles de le mettre dans l’impossibilité de fermer l’installation, comme l’interdiction d’utiliser des fonds pour transférer des détenus sous la garde de pays étrangers.

« J’exhorte le Congrès à éliminer ces restrictions dès que possible », a déclaré Joe Biden dans un communiqué alors qu’il signait le projet de loi, tout en critiquant ces restrictions.

Selon Karen Greenberg, directrice du Centre sur la sécurité nationale à la faculté de droit de l’université Fordham, l’administration Biden « prend des mesures très actives » en vue de la fermeture de la prison.

En septembre dernier, l’administration Biden a nommé une nouvelle représentante spéciale, Tina Kaidanow, chargée de superviser le transfert des détenus, a noté Greenberg.

« J’ai donc bon espoir qu’ils la fermeront. Je pense qu’ils doivent maintenir le rythme soutenu qu’ils ont adopté au départ », a-t-elle déclaré.

« Guantanamo était une erreur. Il a été créé pour échapper à la loi et a maintenu des personnes en détention sans inculpation pendant 21 ans. Nous n’avons pas réussi à faire juger les personnes accusées des attentats du 11 septembre, ce qui est injuste pour les familles des victimes ainsi que pour les accusés eux-mêmes », a-t-elle ajouté.

**Transfert des prisonniers restants

Clive Stafford Smith, un avocat international spécialisé dans les droits de l’homme – qui a obtenu la libération de 83 prisonniers au fil des ans et représente aujourd’hui quatre détenus de Guantanamo – a déclaré que 20 des 35 personnes encore présentes dans la prison avaient été autorisées à sortir et il s’attend à « faire sortir d’autres personnes bientôt. »

« Quand j’aurai fait sortir les détenus actuels, je vais aider sur d’autres cas », a-t-il déclaré à Anadolu dans une interview réalisée depuis Gitmo, où il s’est rendu pour voir ses clients.

« Je pense que c’est une tache sur la copie américaine en matière de droits de l’homme. Et je pense que nous ne devrions pas interrompre notre travail tant que nous ne l’aurons pas fermée », a-t-il ajouté.

Même si Smith ne croit pas que Biden fermera Guantanamo, il estime que « nous devons continuer à essayer et à faire pression, car il n’est vraiment dans l’intérêt de personne que cet endroit reste ouvert. »

« Nous dépensons actuellement plus de 14 millions de dollars par an et par détenu, de l’argent qui pourrait être bien mieux dépensé pour les soins de santé des plus démunis. C’est du pur gaspillage d’argent », a-t-il déclaré.

Le dernier transfert en date depuis Guantanamo remonte à octobre dernier, lorsque Saifullah Paracha, un homme d’affaires pakistanais qui était le plus ancien prisonnier Gitmo, est retourné dans son pays natal après plus de 18 ans.

En réponse aux questions d’Anadolu communiquées par courriel, un porte-parole du Département d’ État a déclaré que l’administration Biden « reste attachée à un processus volontaire et approfondi visant à réduire de manière responsable le nombre de détenus à Guantanamo Bay et, à terme, à fermer le centre ».

Le porte-parole a ajouté que le Département d’État cherchait à identifier « des pays où il serait possible de transférer des détenus et à négocier des accords de transfert et de réinstallation, y compris des garanties appropriées en matière de sécurité et de traitement humain ».

« Les États-Unis mènent actuellement une révision inter-agences qui permet de s’assurer que la détention en vertu du droit de la guerre n’est plus nécessaire pour se protéger contre une menace importante et continue pour la sécurité des États-Unis », a ajouté le porte-parole.

** Les anciens prisonniers tentent de reprendre leur vie en main

Être transféré dans un pays tiers et commencer une nouvelle vie après des années d’emprisonnement n’est pas un processus facile pour de nombreux détenus.

Adayfi, par exemple, a déclaré avoir été transféré « contre son gré » en Serbie. Il a refusé d’y aller en raison de ses souvenirs des années 1990, lorsque les forces serbes ont massacré les musulmans de Bosnie.

Il n’a pas pu rencontrer ses proches au Yémen en raison de la guerre civile qui y fait rage, et n’a pas non plus pu voyager en dehors de la Serbie car il n’a pas de passeport.

Essayant de reprendre sa vie en main, il a intégré une université en Serbie, où il a soutenu une thèse sur l’intégration des anciens détenus de Guantanamo.

En 2021, il a consacré un ouvrage à sa détention à Guantanamo, intitulé Ne nous oubliez pas ici (Don’t Forget Us Here), et passe le plus clair de son temps à plaider pour la fermeture de la prison et la libération de ses « frères » – d’autres personnes encore détenues sans inculpation.

« Je pense que la première chose que nous devons voir est la libération de ceux qui ont été innocentés et si quelqu’un a commis un quelconque crime, il doit bénéficier d’un procès équitable », a-t-il déclaré, appelant Biden à « fermer Guantanamo ».

« Nous demandons la justice pour tous. Tant pour les victimes du 11 septembre que pour les prisonniers », a-t-il expliqué.

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